biographie de j.m.g. le clézio

les origines mauriciennes ou le roman familial

Jean-Marie Gustave Le Clézio naît à Nice le 13 avril 1940, d’un père anglais et d’une mère française, mais le berceau de la famille est la Bretagne (Le Clézio signifie les enclos en breton).

bretagne

L’ancêtre fondateur, Alexis-François Le Clézio, combattant à Valmy, quitte son village du Morbihan pour l’Isle de France en 1794. Quand, en 1810, l’Angleterre s’empare de l’île, rebaptisée île Maurice, la famille Le Clézio prend la nationalité anglaise, achète en 1850 la villa Euréka à l’intérieur des terres, dont les critiques s’accordent à reconnaître le rôle pour la sensibilité et la rêverie poétique de l’écrivain.

Eureka

Mais au tournant du XXe siè cle, des difficultés économiques et une dispute entre deux frères Sir Henri (Le Patriarche) et Sir Eugène conduisent à la diaspora en Europe (Angleterre, France) de toute une branche de la famille. Le grand-père de Le Clézio abandonne sa fonction de juge pour partir sur l’île Rodrigues à la recherche du trésor supposé d’un Corsaire. À l’âge de 15 ans, Jean-Marie découvre dans une valise les plans et les croquis qui avaient servi à la préparation de l’expédition. De quoi alimenter son goût de l’aventure! Cette histoire familiale, Le Clézio l’a transposée dans divers romans: Le Chercheur d’or (1985) Voyage à Rodrigues (1986), La Quarantaine (1995), Révolutions (2003) et Ritournelle de la faim(2008). Il manifeste son intérêt pour la langue créole en publiant, avec son épouse Jemia, Les Sirandanes (1990).

le traumatisme de la guerre

« Si j’examine les circonstances qui m’ont amené à écrire […] je vois bien qu’au point de départ de tout cela, pour moi, il y a la guerre », déclarait Le Clézio dans son Discours de Suède. Alors que le père, médecin de l’armée britannique au Nigéria, ne peut rejoindre la France occupée, la famille doit en effet se réfugier à Roquebillières, dans l’arrière-pays, quand les Allemands entrent à Nice. Le début d’Étoile errante (1992), les prologues d’Ourania (2006) et de Ritournelle de la faim décrivent le quotidien de ces « heures grises » : le couvre-feu, le rationnement, la peur, mais aussi, en contrepoint de la réclusion et des privations, la découverte de l’écriture, de la lecture, la musique, la rêverie. À la fin de la guerre, le jeune J.M.G. Le Clézio s’initie au cinéma avec le Pathé baby de sa grand-mère, décrit dans Ballaciner (2007).

le voyage en afrique

En 1948, il embarque avec sa mère et son frère Yves-Marie, sur le Nigerstrom pour rencontrer ce père qu’il ne connaît pas. À bord, il écrit deux récits : Un long voyage et Oradi noir. La « rencontre » n’aura pas lieu : dans L’Africain, la biographie qu’il lui consacre en 2005, J.M.G. Le Clézio reconnaît avoir mal connu et mal compris son père. Mais l’auteur découvre à Ogoja une extraordinaire liberté au milieu d’une nature généreuse qui développe ses sens : un temps de grâce, romancé dans Onitsha (1987). Le lauréat du prix Nobel revient sur les conséquences de ce voyage initiatique : « De ce voyage, de ce séjour […], j’ai rapporté non pas la matière de romans futurs, mais une sorte de seconde personnalité, à la fois rêveuse et fascinée par le réel, qui m’a accompagné toute ma vie – et qui a été la dimension contradictoire, l’étrangeté à moi-même que j’ai ressentie parfois jusqu’à la souffrance. » (Dans la forêt des paradoxes).

l’adolescence niçoise

Nice

De retour à Nice en 1949, Le Clézio se sent étranger et mal à l’aise dans cette ville qui lui inspire des sentiments ambivalents, et ce d’autant plus que le retour du père en 1950 impose à la famille un mode de vie à la mauricienne ou à l’africaine. Il fait ses études au lycée Masséna, s’essaie à la bande dessinée (qu’il abandonne au profit de la « sympoésie»). Il lit avec passion : Kipling, Conrad, les récits des explorateurs – Charles de Foucauld, Camille Douls –, les poèmes de Rimbaud, puis les philosophes présocratiques… Il fréquente le ciné-club Jean Vigo où il découvre les films de Bergman, Antonioni, Orson Welles, Eisenstein, Mizogushi, les néoréalistes italiens et « les peplums majeurs ». Il participe également au « Club des Jeunes », où il rencontre certains artistes de l’École de Nice et Ben, dans le « magasin » duquel il signe son Procès-verbal. Mais le contexte de la Guerre d’Algérie assombrit considérablement ces années d’adolescence.

les débuts littéraires

En 1959, Le Clézio prend un poste de lecteur de français à Bath (c’est l’époque où il hésite entre le français et l’anglais comme langue littéraire). Il épouse à Londres Marie-Rosalie, de mère polonaise et de père officier français. Leur fille Patricia naît en 1961.

Le prix Renaudot lui est attribué en 1963 pour Le Procès-verbal, écrit à Nice en 1962, envoyé par la poste aux éditions Gallimard et pour lequel il est un peu hâtivement rattaché à l’École du Nouveau Roman.

Titulaire en 1964 d’un Diplôme d’études supérieures sur le thème de La solitude dans l’œuvre d’Henri Michaux – qu’il rencontre à cette occasion –, Le Clézio se consacre à l’écriture. Fictions et essais se succèdent à un rythme soutenu: nouvelles de La Fièvre (1965), Le Déluge (1966), Terra Amata et L’Extase matérielle (1967), Le Livre des fuites (1969), La Guerre (1970), Les Géants (1973). Livres « inclassables » sur le plan générique, mais tous inscrits dans le cadre angoissant – et fascinant – de la grande ville contemporaine.

de bangkok au mexique

mexique
À l’expiration de son sursis en 1967, Le Clézio accomplit son service militaire en Thaïlande au titre de la coopération. Mais ayant manqué à son devoir de réserve pour avoir dénoncé le tourisme sexuel, il est transféré à Mexico. Nouvelle expérience fondatrice : il découvre les cultures amérindiennes, lit le Codex, les textes de Torquemada, de Bernard de Sahagun, Les Tarahumaras d’Artaud. À ce pays d’élection, il consacre un certain nombre d’essais : Haï, (1972), Mydriase (1973), Trois villes saintes (1980), Le Rêve mexicain (1989), la biographie de Diego et Frida(1992). Il traduit Les prophéties du Chilam Balam et soutient en1 976, à l’université de Perpignan, une thèse d’histoire sur La Relation de Michoàcan (texte publié en 1984). Entre 1970 et 1974, il partage la vie des Indiens Embéras et Waunanas dans la forêt du Darien panaméen. La Fête chantée (1997) rend compte de cette expérience essentielle « qui a changé toute [sa] vie, [ses] idées sur le monde et sur l’art, [sa] façon d’être avec les autres, de marcher, de manger, d’aimer, de dormir, et jusqu’à [ses] rêves » (FC, 9). C’est au Mexique que Le Clézio, associé pendant plusieurs années au Centre d’Études de la Tradition de Jacona, place les utopies de Campos et de l’Emporio dans Ourania.

une vie « entre les mondes »

sahara
En 1975, il épouse sa seconde femme, Jemia, descendante des Aroussiyine – une tribu nomade du Sud marocain, : Alice-Marie-Yvonne (Amy), née en 1977 et Anna en 1982. Sa candidature pour une bourse au CNRS, lui ayant été refusée, il part vivre au Nouveau-Mexique. Sa vie se déroulera désormais entre Albuquerque, à la frontière des USA et du Mexique, où il enseigne, Nice, à la frontière de la France et de l’Italie, l’île Maurice, un des lieux où la multiculturalité est la plus importante, et La Bretagne de ses origines à laquelle il semble de plus en plus attaché. Ce qui lui fait dire : « je vis dans les lisières, entre les mondes ». Mais il revient périodiquement à Paris « prendre l’air du temps ». C’est ainsi qu’il écrit Poisson d’or en 1997, un roman sur l’immigration en France, d’une brûlante actualité. En 2008, il fait de longs séjours en Corée du Sud où il donne des cours de littérature française.

le clézio dans le champ littéraire

Le Clézio est présent dans le champ littéraire par les articles qu’il consacre à un certain nombre d’écrivains et d’artistes contemporains : Sartre (1966), Colette (1973), Queneau (1977), Nathalie Sarraute (1984), Tahar Ben Jelloun (1985), Mahmoud Darwich (1994), Homero Aridjis (2005), Georges de la Tour (1993), Matisse (1998)i. Ses préfaces à certains livres de Flannery O’Connor (1965), V.S. Naipaul (1980), Lao She (1996), Modiano (1999), (Henry Roth (2000), Juan Rulfo (2001) ; aux Derniers poèmes de Max Jacob (1982), aux Œuvres complètes d’Isidore Ducasse-Lautréamont (1994) ou aux Notes sur le cinématographeii de Robert Bresson (1988) témoignent de l’universalité de sa culture littéraire et artistique. En 1991, il fonde et dirige avec son ami Jean Grosjean la collection « L’Aube des Peuples » chez Gallimard. Avec la publication de son essai poétique L’Inconnu sur la terre et de Mondo et autres contes (1978), Le Clézio élargit son lectorat, mais c’est Désert qui lui apporte la consécration en 1980 (Bernard Pivot organise pour lui et Borges un numéro spécial d’Apostrophes). Après le Prix Renaudot (1963), le Prix Valéry Larbaud (1972), il reçoit le Prix Paul Morand de L’Académie française à cette occasion. D’autres récompenses suivront : Prix Jean Giono (1997), Prix Prince de Monaco (1998), Prix Stig Dagerman (2008), jusqu’au couronnement du Prix Nobel (2008). Il est lui-même membre de divers jurys littéraires : Prix des cinq continents, (2001), Prix Renaudot (2002), Prix Jean Fanchette à l’île Maurice depuis 2004.

Il répond à des commandes : ainsi le voyage à La Saguiet el Hamra avec Jemia, à l’origine de Gens des nuages (1997), un livre écrit à quatre mains et illustré par Bruno Barbey ; ou, en 2006, la participation à l’expédition de la Boudeuse d’où il rapporte Raga pour la collection « Peuples de l’eau » d’Edouard Glissant. Il signe en 2007 le manifeste « Pour une littérature-monde en français ». Bien que relativement discret dans les médias, Le Clézio est donc parfaitement dans la lumière. Mais si certains de ses ouvrages sont unanimement salués par la critique (Désert, Révolutions, L’Africain), d’autres suscitent des débats (Cœur brûle et autres romances, 2000), voire des polémiques : Le Rêve mexicain et surtout Étoile errante.

L’écrivain ne se contente pas d’occuper une place dans le monde littéraire, il s’affirme aussi citoyen du monde en mettant sa plume au service de causes qui lui tiennent à cœur :

  • La défense de l’environnement : contre le massacre des baleines grises, les essais nucléaires (1995), le Paris-Dakar (1987). Il n’hésite pas à relayer le combat de la poétesse innue Rita Mestokosho contre le projet de barrages de la multinationale Hydo-Québec qui menace la rivière Romaine et son peuple d’une catastrophe écologique de grande ampleur (Le Monde, 2 juillet 2009).
  • Le combat pour les libertés : en 1996, il écrit à l’opposant chinois Wei Jingshang dans sa prison, au nom de la Ligue des Droits de l’Homme; il signe en 1998 « l’appel à désobéir » contre les lois Pasqua et Debré sur l’immigration.
  • L’action en faveur des peuples délaissés ou opprimés : ainsi la lettre ouverte adressée au président Barack Obama, prix Nobel de la paix, par le prix Nobel de littérature 2008 pour attirer son attention sur l’expulsion des Chagossiens (habitants d’un archipel de l’Océan indien) par l’installation d’une base militaire américaine à Diego Garcia (cf. Le Monde du 18-19 octobre 2009).

« Les vraies vies n’ont pas de fin […] .(À suivre. ) »Le Livre des Fuites

M S

  1. Pour les références, se reporter à la Bibliographie des œuvres de J.M.G. Le Clézio. 
  2. Ibid.