l’île plate

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« l’île plate »

jacqueline jacomella

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Photo: Yonay Pinto

Deux courts (trop courts) séjours à Maurice ne m’avaient pas permis de visiter l’île Plate. Quelle frustration!! Aussi lorsque le projet de sortie jusqu’à l’île mythique s’est confirmé, quelle joie !! Pourvu qu’il fasse beau !! Pourvu que… enfin le jour tant attendu arrive. Ciel bleu, brise légère, douce chaleur : prémices d’une agréable promenade en mer. Après certaines formalités, l’équipage nous accueille à bord: visite du carré, spacieux et confortable.

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Photo: Justine Feyereisen

L’équipier largue les amarres, nous sortons du port au moteur. Voilier face au vent, l’équipier hisse la grand-voile puis déroule le génois. Le catamaran vogue, petit largue, allure très agréable.

Dina et Yonay, heureuses comme des poissons dans l’eau, laissent éclater leur joie. Ambiance détendue à bord, nous savourons tous cet instant magique. L’équipier nous signale l’îlot Gabriel, l’île Ronde, l’île aux Serpents. Le vent forcit, la mer, plus agitée, clapote, des embruns jaillissent et nous rafraîchissent.

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Photo: Justine Feyereisen

Face à l’île Plate, l’équipage mouille l’ancre. Nous embarquons à tour de rôle dans un canot équipé d’un moteur hors-bord. Débarquement sur le sable blanc et scintillant. La distribution de sandwichs fort appétissants me ramène à la réalité.

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Photo: Justine Feyereisen

Des groupes se forment pour grimper jusqu’au phare, deux chemins se présentent : notre groupe choisit le plus abrupt, le plus broussailleux, un vol de paille-en-queue nous accompagne. Ascension difficile pour moi qui grimpe péniblement. Merci Fredrik, merci Keith, pour votre aide amicale. J’essaie de me remémorer les passages de La Quarantaine, où le botaniste fait l’inventaire des plantes qu’il a cueillies. Mais impossible de reconnaître quoi que ce soit dans cet amas de broussailles, d’ailleurs mes connaissances en ce domaine sont très limitées. Enfin le phare apparaît, se détache, blanc, avec sa coupole rouge, sur le ciel bleu. Il faudra nous contenter de cette apparition car l’ascension devient périlleuse.

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Photo: Justine Feyereisen

Descente parfois vertigineuse jusqu’au sable blanc, jusqu’à l’eau turquoise. Bain dans cette mer limpide et fraîche. La récompense ! L’heure du retour a sonné.

Installées à l’arrière du voilier, Bronwen, Mary et moi bavardons tout en dégustant une boisson rafraîchissante, puis la conversation devient plus sérieuse. Peut–on écrire quand on n’a pas souffert ? Une trop grande souffrance n’empêche–t-elle pas d’écrire ?

Retour au port. Débarquement. Nous rentrons à notre hôtel avant d’affronter une Assemblée générale plutôt houleuse.

«le sentier du papillon bleu »

rachel bouvet

île plate, 8 juin 2013

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Photo: Rachel Bouvet

À partir du moment où nous quittons le catamaran jusqu’à celui où nous débarquons sur l’île, les eaux turquoise captent toute mon attention. Assise au bout du zodiac, je ne parviens pas à me détacher de ces nuances profondes auxquelles je n’ai jamais su résister et qui font défiler toute la gamme allant du vert au bleu – en gallois et en breton il n’y a qu’un seul adjectif pour la couleur bleu-vert, la palette de la mer en somme, qui peut virer au bleu foncé en l’absence de soleil ou franger d’écume les vagues émeraude – comme j’ai toujours eu du mal à distinguer le bleu du vert, je me dis que je dois souffrir de daltonisme marin, comme tous ceux qui ont vécu longtemps près de la mer j’imagine. La transparence rend le turquoise d’une limpidité sans égal et l’œil se vautre dans ce trop-plein de couleurs aquatiques dans un accès de douceur, attiré par les profondeurs.

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Photo: Rachel Bouvet

Sur le sable, une souche brille au soleil, son bois lavé par l’eau, telle une épave, comme si de l’arbre il ne restait que les os blanchis par la mer. Elle lance au loin ses racines en direction de la terre semble-t-il, dans un geste désespéré de quitter le rivage où elle a échoué, on ne sait trop comment. Je suis venue herboriser sur l’île Plate pour emboîter le pas à un botaniste de papier et voilà que je tombe en premier lieu sur une souche, un arbre mort, signe du temps enfui mais aussi persistance de la matière végétale après la mort, support des mots que je traque. Je passe allègrement de la littérature à la biologie – j’ai retrouvé ma fascination première pour la science du vivant depuis que je me suis mise en tête d’étudier le végétal dans les lettres. L’arbre mort me conduit au vivant.

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Photo: Rachel Bouvet

Est-ce une souche de filao? À quelques mètres se trouvent de grands arbres que le vent penche vers la mer, dans lesquels je reconnais la silhouette des filaos si longuement rêvés le nez dans les livres de Le Clézio. Ils abritent sous leurs branches des batatrans, des ipomées nommées ainsi en raison d’un certain Durand paraît-il – la patate à Durand serait devenue, avec l’accent créole, batata à Durand, batatran – en arabe aussi la patate douce se dit batata – j’aime dériver entre les noms et les plantes.

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Photo: Rachel Bouvet

Nous cherchons, Isabelle et moi, le chemin qui passe au milieu de l’île pour rejoindre le phare, avec l’espoir de revenir en longeant le rivage. Mary, Sarah, Toni, Cécile et sa sœur jumelle nous emboîtent le pas. Nous marchons d’un bon pas depuis une bonne quinzaine de minutes quand le vol d’un papillon nous force à nous arrêter : nous attendons qu’il se pose pour l’observer.

Fichier Audio @ Yasmine Bouvet

C’est un papillon bleu aux ocelles ocres, sans doute une variété de junonia me dit Isabelle – vérification faite, c’était bien un junonia rhadama –, qui du même souffle me raconte les chasses aux papillons en compagnie de son père passionné d’entomologie. Une enfance bénie, en somme, sous les auspices de l’aventure et de l’aérien.

Je me souviens d’avoir remarqué en riant que le papillon bleu (je préfère son nom vulgaire) nous ouvrait le chemin en voletant ainsi juste devant nous – je ne croyais pas si bien dire. Tout au long de la marche jusqu’au phare, il nous a précédées, disparaissant et reparaissant sans arrêt, en un vol étrange qui me détournait des plantes que je photographiais dans l’espoir de les identifier un jour, à défaut de pouvoir les reconnaître sur place. Comme la piste indiquée sur la carte n’était pas nommée, nous avons d’un commun accord décidé de la baptiser en l’honneur de notre guide ailé. Il faut dire que le « sentier du papillon bleu » est plus facilement praticable pour un papillon que pour un bipède, en raison des broussailles et des épineux qui assaillent les jambes, des végétaux innommables (je serais bien incapable de les nommer), qui égratignent les mollets – enfin ceux de mes collègues, car j’avais mis un pantalon ce jour-là, par chance, mais je suis tout de même revenue avec une longue balafre sur l’avant-bras, sorte de tatouage végétal, de signature éphémère qui m’a rappelé durant tout le séjour à Maurice le sentier à peine balisé que nous avons suivi.

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Arrivées au phare pourvu de couleurs éclatantes – blanc et rouge – dans l’azur où flottent de légers nuages, nous devons escalader le muret qui entoure les bâtiments avant de poursuivre notre route pour rejoindre le rivage, que nous devinons loin en-dessous.

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Photo: Rachel Bouvet

Parmi les buissons, nous trouvons une tombe datée du 28 février 1856, celle de Sarah Creed, morte à 28 ans en laissant derrière elle quatre jeunes enfants en plus de son mari. Dans la conférence préparée pour le congrès qui débute le lendemain, je parle des deux occurrences en anglais dansLa Quarantaine: la carte de l’île, réalisée en 1857, et les mots inscrits par une autre Sarah (Metcalfe) sur la couverture du calepin (fictif) de son mari : le 28 mai 1891. Drôle de coïncidences tout de même.

Irgil

C’était juste avant de découvrir le banian gigantesque qui a littéralement envahi cette partie de l’île avec ses lianes-racines en colonisant l’espace sur des mètres et des mètres – nous avons même essayé d’en faire le tour en bravant les broussailles, sans succès.

Film Sur le chemin du phare @ Irgil

J’avais vu des banians en Égypte, mais aucun n’arrivait à la cheville de celui-là. Je comprends maintenant pourquoi autant de légendes y sont associées, pourquoi le figuier banian est sacré dans certaines cultures : notre parcours a pris fin à cet endroit, nous n’avons pas pu nous aventurer du côté ouest de l’île ainsi que nous l’avions prévu. Le banian nous refusait-il le passage, pour je ne sais quelle raison? Ou bien était-ce l’appel du papillon bleu? Peut-être qu’il nous attendait à l’orée de son sentier préféré? En vain, nous l’avons cherché en dévalant de plus belle le chemin du retour…